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la Cour d’assises, et suivons Lacenaire. Voici sur quel ton lyrique il parle de l’affaire du Cheval-Rouge dans ses Mémoires :

« Ce fut un beau jour pour moi que celui-là. Je respirai. J’étais mécontent jusque-là en me voyant renfermé vivant dans le gouffre des prisons : quoique j’eusse versé le sang, il m’était interdit d’en revendiquer le prix, de réclamer l’échafaud qui m’appartenait, et je voulais la mort, mais non pas de mes propres mains ; que celui-là se suicide qui, entraîné par ses seules passions, a commis un crime que sa conscience ne peut légitimer, qui regarde l’échafaud comme une infamie ; que celui-là se suicide qui, après avoir épuisé sa santé et sa fortune dans les plaisirs de la vie, voit tout à coup santé et fortune lui échapper, il a raison ; mais moi, qui n’avais demandé à la société que du pain, du pain assuré par mon travail, non, je ne le pouvais pas, je ne le devais pas ; c’eût été trop inepte,et pourtant je sentais que je ne devais plus vivre.

« Croyez-vous donc que c’était l’appât de l’or que je devais trouver chez Chardon qui m’avait poussé ? Oh non ! c’était une sanglante justification de ma vie ; une sanglante protestation contre cette société qui m’avait repoussé ; voilà quel était mon but, mon espoir. Dès lors, plus de crainte, on pouvait me saisir quand on voudrait. Je savais comment je terminerais. Je ne risquais plus de m’abandonner au vol ; il ne s’agissait plus que de jouir encore quelques instants, ou de triompher tout à fait.

« On a prétendu que j’avais dit que si j’avais réussi j’aurais vécu en honnête homme, en bon père de famille. Oui, suivant les lois, c’est vrai ; oui, j’aurais été bienfai-