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sur les lèvres, la rage dans le cœur, ouvraient leur bourse à toute réquisition. Croyant voir sortir, de tout manuscrit repoussé, un stylet vengeur, ils recevaient avec une effusion apparente les rouleaux les plus volumineux et promettaient avec empressement leur collaboration aux porteurs de ces tromblons. On vit même alors des auteurs en crédit commencer à lire des pièces de jeunes gens inconnus ! Jamais ces messieurs ne furent ni si accommodants ni si prodigues d’encouragements.— Mémorable époque !

L’ours, cette chose qu’ils avaient prise jusqu’alors pour une métaphore empruntée au règne animal par les directeurs de théâtre, l’ours s’était réalisé pour eux. Il dressait devant leurs yeux ses pattes armées de griffes et leur montrait ses dents allongées par la faim.

Dans ce temps de terreur littéraire, plusieurs nouveaux venus purent facilement faire leur chemin, comme le prouve l’aventure suivante, arrivée à un de nos auteurs du jour.

Cet écrivain était alors tout jeune. Armé d’une pièce nouvelle, il s’en alla bravement trouver M. Dupin, — non pas M. Dupin l’ainé, mon Dieu ! que le ciel vous préserve de le croire ! — mais M. Dupin l’auteur dramatique, — pour lui proposer d’arranger l’ouvrage et de le faire jouer en collaboration. M. Dupin était encore plus sur ses gardes à cette époque qu’aucun de ses confrères, et ne sachant à qui il avait affaire, il reçut l’inconnu en entre-bâillant sa porte, et le cou seulement hors de l’appartement, puis, après avoir pris le manuscrit avec précaution, il dit au visiteur de revenir.