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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

de l’engraissé. Quan j’ai vu ça, je l’ai r’cédé à mon voisin M. Gagné, pour deux poches de patate. I a essayé de l’ramener, mais i avait été trop négligé. Pour s’en défaire, i l’a emmené en ville pour le vendre, mais i a pas eu de chance. L’inspecteur a fait confisquer le cochon parce qui disait qu’il avait la consomption. M. Gagné a dû payer $6 d’amende. J’espère que vous pourré trouvé d’autre roti. Ma femme vous salus.

Votre cousin,
Narcisse Trudel.

Dire l’indignation et le désappointement de Mme  Bézières est chose d’impossible. Non seulement on ne lui donnait pas la viande qu’on lui devait, sur laquelle elle comptait, mais voilà qu’on l’accusait d’avoir laissé mourir de faim le petit goret dont elle et toute la famille avaient pris tant de soins. Non, mais fallait-il qu’il y eût au monde des gens malhonnêtes, voleurs !

— Tu sais, tu vas aller demain chez un avocat, dit-elle le soir à son mari, et puisqu’on ne veut pas nous remettre de bon gré ce qui nous appartient, tu vas lui dire de prendre une poursuite. Je ne suis pas pour me laisser dépouiller sans rien dire.

M. Bézières est donc allé chez un avocat. L’homme de loi que les scrupules ne gênent pas, a promis de prendre une action en dommages. Il a exigé cinq piastres pour ses déboursés.

Mme  Bézières a été obligée d’aller acheter sa viande chez le boucher pour les fêtes. Elle l’a payée dix-huit cents la livre et elle rage contre sa cousine qui va fricoter à bon marché.

Elle ne décolère pas.