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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

ce spectacle et voyant détruire sa récolte de fumeur, Marcheterre qui avait tout cassé la vaisselle se tenait immobile cherchant ce qu’il pourrait bien faire. Il eut une inspiration. Il ouvrit la trappe de la cave, descendit d’un bond les trois marches, saisit la tinette de beurre que Mélanie avait fini de remplir la veille, remonta précipitamment et, toujours à la course, sortit de la maison, arriva à une grande mare d’eau sale et y vida le baquet qu’il portait en ses bras. En tombant, la masse jaune fit rejaillir un liquide vaseux qui éclaboussa le fermier.

— Tiens ! tiens ! Et dans une frénésie, il se mit à fouler le beurre avec ses pieds. Ses gros souliers l’enfonçaient dans la mare, l’écrasaient, le souillaient, le mêlaient à cette fange, en faisaient un mélange innommable. L’eau flaquait sur lui, l’inondant jusqu’à la ceinture, mais Marcheterre piétinait toujours avec emportement. Le contenu de la tinette n’était plus qu’une pâte grossière, une bouillie infecte.

Voyant son beurre gâté, perdu, Mélanie devint plus enragée encore, si possible. Des deux mains, elle saisissait les hauts pieds de tabac et les arrachant avec force, les lançait dans la direction de son mari. Le carré cultivé avec tant de soins par le fermier était ruiné. Éparpillées de tous les côtés par une fureur destructrice, les tiges jonchaient le sol. Marcheterre était au paroxisme de la colère.

— Attends ! attends ! hurla-t-il. Tu vas voir ce que je vais faire à ton boghei.

Boueux, crotté, souillé, ses gros souliers couverts de beurre, sa culotte ruisselante d’eau sale, Marcheterre sortit de la mare, courut vers la remise et empoigna sa hache.

Comprenant qu’il allait démolir la voiture qu’elle avait reçue de sa mère en se mariant, Mélanie laissa là le carré