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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

propres, se répétait-il sarcastiquement. C’est cela qui l’a charmée, qui l’a jetée dans les bras de cet homme.

Le vêtement élégant, l’uniforme : uniforme de soldat, de conducteur de train, d’autobus, de constable, et surtout la soutane, la fascinaient. Devant ces accoutrements spéciaux ou devant un bel habit, elle était sans résistance.

Il songeait à ces vacances des années passées alors que, sur des papiers de couleurs tendres, elle lui écrivait de Chamberry des lettres amoureuses dans le même temps qu’elle se promenait tous les soirs avec Prosper Deschamps dans son beau boghei, avec son attelage bien ciré et qu’il lui disait : « Louise, je vais t’essayer ».

Quelle duplicité, quelle tristesse, quelle ignominie ! se disait-il en lui-même. Ah ! si elle le voulait son coq, cette poule, elle pouvait le prendre. Ce n’était pas lui qui s’y opposerait.

Nous nous connaissons depuis quinze ans et nous aurions pu vieillir ensemble sans tristesse, avec les beaux souvenirs d’un amour fidèle si elle avait pu m’aimer comme je l’ai aimée, pensait-il. Il songeait à la passion qu’il avait eue pour elle. Quel grand amour ! Quelque chose de surhumain, lui semblait-il, quelque chose de beau comme une merveilleuse cathédrale. Malheureusement, ses innombrables trahisons en avaient fait une ruine lamentable. Tout cela était triste, infiniment triste. Mais comment la blâmer ? Elle était née ainsi. C’était là son caractère, son tempérament. Elle n’y pouvait rien. Il n’y avait rien à faire. Mais de penser qu’un chandail et des bas golf pussent la jeter dans les bras de ce rustre, c’était navrant.

— Il est temps de rentrer. Qu’en penses-tu ? dit-elle.

Elle prit un fanal électrique pour le conduire à leur chambre.