Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
204
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

ne circulait pas, des yeux gris, mornes comme un ciel de novembre. Avec cela, toujours faible, fatigué. Et il toussait.

Un jour, il entra dans un restaurant pour prendre un verre de coca cola. Une femme d’une trentaine d’années, courte et fortement modelée, lui tendit la bouteille demandée et une paille. Elle eut un séduisant sourire lorsqu’il lui remit la monnaie pour payer.

— Merci et bonsoir, fit-elle comme il sortait après s’être rafraîchi.

Sur la vitre de la fenêtre dans laquelle s’étalaient des boîtes de cigares et de cigarettes, il lut le nom : Mme  A. Cheniez. Puis, d’un pas allègre, il s’en alla chez lui. Il était de retour le lendemain à bonne heure et un aimable sourire l’accueillit.

À partir de là, il retourna tous les jours à l’établissement de la jeune femme. Elle était veuve et avait une fillette de dix ans. Son mari était mort il y avait dix-huit mois, lui laissant une faible assurance. Alors, elle avait acheté ce restaurant. Tout P’tit était ravi de ces confidences. Elle le traitait en ami. Et ce n’était pas là une unité de l’innombrable série des jeunes filles. C’était une femme qui restait elle-même avec sa figure sans fard, sa coiffure personnelle, ses formes à elle. Naturelle en tout. Tout P’tit était bien heureux chez elle. Il buvait là d’innombrables bouteilles de coca cola. Souvent maintenant, lorsqu’elle lui tendait le change de sa monnaie, il refusait. Gardez, disait-il. On le remerciait d’un sourire. Et cela le remplissait de joie.

— C’est bien triste d’être pauvre, lui déclarait un jour la jeune femme. Je ne peux seulement pas arriver à m’acheter une robe.