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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Ainsi était la sienne. Son logis se composait d’un salon double, d’une salle à manger, d’une chambre à coucher, pour elle et son mari, d’une cuisine et d’une étroite petite pièce éclairée par une demi-fenêtre où dormait Tout P’tit.

Le salon, meublé d’un chesterfield en velours brun, d’un piano, de chromolithographies dans de larges cadres dorés, de lourdes portières rouges et de grands rideaux de soie violets aux fenêtres, était toujours hermétiquement clos. Et pour que le soleil ne changeât pas la couleur des meubles, des tapis, des portières, des rideaux et du papier peint sur les murs, les volets étaient continuellement fermés. Un beau salon qu’elle avait Mme  Prouvé, seulement un peu lugubre. L’ombre y régnait éternellement. En y pénétrant, on avait un peu l’impression d’entrer dans une chambre mortuaire. Une fois par semaine, Mme  Prouvé en ouvrait la porte. Elle balayait, époussetait les meubles et les cadres, puis refermait la pièce qui demeurait close jusqu’à la semaine suivante. C’était comme un sanctuaire. On n’entrait dans ce salon que dans les occasions exceptionnelles. De même, la salle à manger était un lieu que Mme  Prouvé réservait pour les grandes circonstances : les repas de Noël, du jour de l’an et de Pâques, quand on avait de la visite. D’ordinaire, la famille mangeait dans la cuisine où la méticuleuse ménagère se tenait toujours lorsqu’elle ne balayait pas le trottoir devant la maison.

Un jour, elle avait décidé son mari à convertir en cuisine leur hangar, à l’arrière du logis. Alors, la première cuisine était devenue la salle à manger ordinaire. Pour remiser le bois et le charbon, l’on s’était entendu avec la vieille mère qui avait cédé une partie de son hangar au rez-de-chaussée.