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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

les visiteurs l’admiraient fort. À quelques pas de là, était un large divan où l’on rendait hommage au modèle. Pendant six mois, le peintre fut fort assidu à la maison. Il sortait très souvent avec le mari et sa femme…

Le docteur était partagé entre ses malades et ses occupations de député.

L’on faisait joyeuse vie.

Mais le malheur s’abattit sur la maison. La petite Laurette mourut subitement, emportée en quelques jours par la diphtérie. La mère versa beaucoup de larmes. Longtemps elle fut inconsolable.

Puis Zéphirine, l’aînée de la famille qui, depuis quelques années vivait avec un électricien l’abandonna pour un aventurier qui l’amena à Chicago.

Il y eut de nouvelles élections et le docteur fut réélu député pour un second terme. L’on fit un autre voyage en Europe. À certains moments, Mme Demesse pensait à la triste pension où sa jeunesse s’était écoulée. Elle évoquait la vision de sa mère vêtue d’une vieille jupe, d’une blouse usée et déchirée sous les bras, et d’un tablier carreauté. Grise, lourde, vieillie, elle se la représentait allant et venant dans sa cuisine, avec des souliers fendus sur les côtés, aux talons usés. Elle la voyait lavant des piles d’assiettes graisseuses, faisant cuire des soupes et des têtes en fromage pour des pensionnaires qui tiraillaient toujours pour le paiement. Ces pensées étaient pénibles pour Mme Demesse et elle aurait voulu les chasser, mais elles l’assiégeaient à certaines heures. Elle pensait aussi à Zéphirine partie à Chicago, à Adèle mariée à un pauvre petit plombier et qui menait une existence bien terne. Alors, assise à la terrasse d’un café à Paris, avec le flot des passants qui coulait devant elle, ou le soir, dans un cabaret avec son