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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

Au bout de quatre semaines, il revenait au pays plus enthousiaste que jamais de son art et plus amoureux que jamais de son amie. Comme souvenirs de voyages, il rapportait des gravures, quelques poteries, des médailles et une tête en marbre, une ébauche qu’il avait obtenue d’un jeune sculpteur qu’il avait rencontré, qui l’avait invité à visiter son atelier et qui, après avoir écouté en silence les paroles admiratives du peintre pour les créations réunies là, lui avait dit :

— Eh bien, avec tous ces dons que vous m’accordez, avec ces œuvres que vous appréciez si chaleureusement, il ne me reste qu’à prendre un plongeon dans la Seine.

Et sans phrases tragiques, il lui avait avoué simplement qu’il était au bout de ses ressources, qu’il n’avait pas vendu le plus petit morceau de sculpture depuis quatre mois. Les gens ne pensaient qu’à boire, à manger, et à s’amuser. Les boutiques d’objets d’art étaient encombrées des produits du talent et les marchands se refusaient à faire la moindre acquisition. Léo Destrier avait acheté de son nouvel ami une tête de femme en marbre qui l’avait charmé en entrant. Une simple ébauche, mais frémissante de vie et de sentiment, une passionnée figure de femme, des lèvres qui semblaient appeler le baiser, des lèvres qui versaient l’amour.

À son retour à Montréal, Léo Destrier avait installé dans son atelier quelques-uns des objets rapportés de Paris et il avait donné à son amie la tête de marbre, obtenue du sculpteur en détresse. Alice avait pressé son amant dans ses bras et elle avait ensuite baisé sur la bouche la figure de marbre. Elle la plaça sur sa commode, à côté de la fenêtre et, le matin en s’éveillant, après avoir baisé la bouche de