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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

rait. Il se rappelait un veuf qui préservait précieusement dans son grenier les vieilles robes de sa femme morte et qui, chaque jour, montait les voir en pensant à la défunte. De vieilles reliques. Pour ce pauvre homme, c’était tout ce qui lui restait de la compagne disparue. Jamais il n’allait au cimetière où le corps décomposé de sa femme était depuis longtemps retourné à la matière, mais chaque jour, il montait voir les robes fanées qu’elle avait portées.

M. Thouin essuyait maintenant son pied droit enfin net.

Il regardait ses vieux habits et soudain, il se figura être suspendu lui-même près du mur entre ces sombres et minables vêtements. Il avait comme une morbide curiosité de voir quelle apparence il aurait. Alors, sans presque s’en rendre compte, il sortit de sa chambre, entra dans la pièce voisine où son hôtesse faisait parfois sécher du linge sur une corde. Il la coupa, revint chez lui, en attacha une extrémité à un crochet. Automatiquement, il approcha une chaise, fit un nœud coulant, se le passa au cou, monta sur le siège et d’un coup de pied le repoussa…

Si souvent, il n’était pas descendu pour déjeuner que son hôtesse ne s’inquiéta pas de lui de la matinée. « L’ivrogne dort », se disait-elle. Le midi, elle s’attendait à le voir descendre d’un instant à l’autre, pour le dîner. Elle s’irritait de ne pas le voir apparaître. Il faudrait tenir la table mise pour lui. Quel ennui ! Enfin, vers une heure, elle envoya Ernestine, sa fillette de douze ans, pour l’éveiller. Des pas légers montèrent l’escalier, puis soudain, la femme entendit un cri terrible : « Maman ! maman ! »

Laissant échapper la tasse qu’elle tenait à la main et qui se brisa en éclats sur le plancher, la mère se précipita vers l’escalier, grimpant les degrés à la course, imaginant