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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

étranger. C’était une ombre triste et noire au milieu de la foule. Deux de ses frères dirigeaient des maisons d’affaires florissantes, l’un pharmacien, l’autre quincaillier. Ses neveux occupaient des emplois agréables, lucratifs. Lui, il était pauvre, solitaire, dédaigné et repoussé des siens. C’était un ivrogne, le mouton noir de la famille.

Dans sa jeunesse, il avait fondé un magasin d’objets d’art et d’articles de fantaisie, il s’était marié et avait eu deux enfants, un garçon, une fille. Malheureusement, il avait la passion de l’alcool. Souvent, il s’enivrait. Alors, pour l’aider dans son travail, il avait engagé un commis, mais au bout de quelques années, le commis lui avait pris son commerce et sa femme. Cette catastrophe l’avait terrassé. Après cela, il avait bu davantage encore. Il entrait dans les bars, s’appuyait au comptoir et buvait des verres de whiskey. Lorsqu’il était ivre, le marchand de poisons qui lui avait pris son argent, trouvant qu’il avait assez bavé chez lui, le poussait rudement dehors. Plusieurs fois, il s’était fait ramasser par la police. C’était une pauvre loque humaine.

Les souvenirs maudits le harcelaient parfois.

Au temps où il avait son magasin d’objets d’art, il avait son logement à l’étage supérieur. Un jour, se sentant la tête lourde, il avait voulu prendre une dose de sel médicinal et était monté à son appartement. Il était entré dans la chambre de bain se trouvait la petite pharmacie de la maison. La baignoire répandait une rafraîchissante odeur d’eau de Floride. Cela le surprit, car jusque là, sa femme n’avait jamais mélangé de parfums à l’eau de son bain. Il l’appela, elle était sortie. Il redescendit. Jamais il n’avait songé que sa compagne pût lui être infidèle, mais ce petit détail lui fit travailler l’imagination. Justement, il pouvait