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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

âgée que lorsque je la voyais en robe bleue et en tablier blanc dans la salle. Mais, à cette heure-ci, qu’importaient quelques années de plus ou de moins ? Je lui pris le bras et l’entraînai.

— C’est tout près, lui dis-je. Quatre ou cinq rues seulement.

Il faisait un froid sec et le ciel d’un bleu sombre était tout constellé de scintillantes étoiles. De chaque côté de la rue, étaient des demeures aux fenêtres sombres, des maisons silencieuses. Nous allions. Je me sentais le cœur en joie. Je bavardais sans trop savoir ce que je disais. J’entraînais ma compagne, la serrant étroitement près de moi.

— Nous voici arrivés, dis-je, en mettant le clef dans la serrure de mon logis. J’entrai le premier afin de faire de la lumière. Tout de suite, sous prétexte de la faire se réchauffer, je servis à ma visiteuse un copieux verre de rhum, puis je commençai à lui montrer des études de nu que j’avais faites à Paris. Je sortis ensuite des planches anatomiques venant d’un étudiant en médecine de mes amis qui me les avait abandonnées lorsqu’il avait été admis dans la profession. La femme regardait mes dessins puis les planches sans faire de remarques. Elle m’écoutait complaisamment, se demandant où je voulais en venir. Alors, laissant les images, je me mis à lui parler de personnages de la Bible, de Booz et de Ruth, de David et de Bethsabé. Je bafouillais, ne sachant que dire ni que faire. Souriante, l’air un peu ahurie et un peu fatiguée, mon amie m’écoutait toujours. Soudain, au milieu d’une phrase, renonçant à tout ce ridicule et inutile verbiage, je saisis par les épaules la vieille femme à cheveux blancs, la poussai durement sur le canapé qui me servait de couche et la possédai avec emportement…