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LE RETOUR DU SOLDAT



À Marcel Desjardins

À l’âge de vingt-six ans, Jules Dupuis était devenu soldat. D’une nature ardente, il s’était laissé envoûter par les grands mots : justice, devoir, liberté, droit, patrie, civilisation, démocratie, qu’il voyait chaque soir dans les journaux, qu’il entendait constamment à la radio, et il s’était enrôlé. Aussi, il voulait montrer qu’il n’était pas un lâche, que les Dupuis avaient du cœur au ventre et qu’ils ne craignaient pas le danger. Alors, comme tant d’autres jeunes gens, il avait quitté son emploi, sa maison, ses parents, ses amis, son pays. Il avait laissé derrière lui une femme qu’il aimait passionnément, la belle Yolande, à laquelle il n’était marié que depuis six mois et qu’il avait enlevée à un redoutable rival. Peut-être un petit héritage de six mille piastres qu’il avait fait à l’époque où il courtisait la jeune fille avait-il fait pencher la balance en sa faveur. Avec enthousiasme, il avait endossé l’uniforme et, avec des milliers d’autres gars que leur destin avait désignés, il était parti. Le grand carnage mondial réclamait des hommes, tous les hommes possibles et Dupuis était entré dans le formidable conflit. Pendant plus de trois ans, il avait guerroyé sur divers points du globe, risquant sa vie