Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/78

Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
LE DESTIN DES HOMMES

Il faisait nuit lorsqu’on fut de retour et les lumières des voitures et des maisons étaient allumées. L’oncle et la tante Desbiens descendirent à leur maison et Lionel continua pour aller reconduire la jeune fille chez elle.

— Monsieur Desbiens, j’ai, grâce à vous, passé une journée bien agréable, fit Lucienne, lorsqu’il arrêta son automobile devant la maison où elle demeurait.

— Et grâce à vous, mademoiselle Lepeau, j’ai fait un bien charmant voyage, répondit-il galamment.

Il avait éteint les phares de sa voiture et elle restait là à côté de lui sans bouger, incapable de se lever, lui semblait-il. Peut-être lui prendrait-il doucement la main, songeait-elle, et, à cette pensée, elle frémissait d’émotion. Peut-être même tenterait-il de l’embrasser. Pour sûr qu’elle ne résisterait pas. Ce qu’elle éprouvait en ce moment était quelque chose d’unique, de divin…

— Je vais vous dire le bonsoir et rentrer chez mon oncle, fit Lionel Desbiens d’une voix calme, en même temps qu’il rallumait ses phares.

Alors, brusquement, Lucienne se leva et sortit de l’auto.

— Bonsoir ! cria-t-elle en courant vers la porte de sa maison. En entrant elle lança sur un siège son manteau et son chapeau et sa figure prit une expression d’immense désappointement. Elle était dépitée, humiliée. Quoi, elle n’avait donc fait aucune impression sur son compagnon !

Sa joie, tout le jour, avait été trop forte et la séparation de son côté à lui avait tellement été celle d’un indifférent qu’elle n’en revenait pas. Cette nuit-là, elle ne s’endormit qu’au matin.

Après ce voyage si merveilleux qui s’était si banalement terminé, elle était retombée à son abattement, elle était rentrée dans sa pauvreté, dans la pauvreté de toute