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LE DESTIN DES HOMMES

qui veulent avoir un manteau de fourrure tout comme les dames riches, qui le désirent tellement qu’elles seraient prêtes à se vendre pour en acheter un. Ne pouvant attendre davantage, Urgel se rendit un samedi chez un marchand de fourrures et expliqua ce qu’il voulait : une tunique en peau de léopard pour exécuter des tours de force au théâtre. L’homme alla dans son arrière-boutique et revint avec une belle peau tachetée. Fasciné, Urgel palpait la fourrure avec une espèce de volupté, disant : C’est ça, c’est absolument ça.

— Ce veston-là vous coûtera $75.

— Entendu.

Et Urgel retourna chez lui dans un état d’extrême surexcitation. Deux semaines plus tard, il alla chercher sa tunique. Aussitôt rendu à sa chambre, il enleva ses habits et endossa la peau de léopard. Avec un contentement et une satisfaction extrêmes, il se regardait dans le miroir poussiéreux de son bureau de toilette. Vrai, il était ravi. De toute sa vie, il n’avait jamais rien vu d’aussi beau.

Dès lors, il eut la hantise de paraître en public avec sa peau de léopard. Mais où ? À qui s’adresser ? Il l’ignorait.

L’on était à l’automne et il y avait quinze mois qu’il avait laissé la terre paternelle pour aller chercher fortune à la ville. Or un soir, en feuilletant distraitement le journal, il tomba en arrêt devant une petite annonce : Homme fort. On demande un homme fort pour donner des exhibitions en province. S’adresser à Mme Breton, Hôtel Sauvageau. C’était comme s’il avait trouvé mille piastres dans la rue. Urgel saisit son chapeau et, sans perdre une minute, se rendit à l’adresse indiquée, un petit hôtel d’aspect misérable. Là, il rencontra une grande femme qui lui expliqua ce qu’elle cherchait : un partenaire pour une tournée de toutes les expositions agricoles de comté. Dans le passé,