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LE DESTIN DES HOMMES

épreuve. L’étrangère alla acheter un ticket qu’elle montra à ses associées. Puis ce fut la parade. Vraiment, les numéros trois et quatre étaient des bêtes de piètre apparence. L’une d’elles semblait même boiter. De plus, leur record enregistré au programme était pitoyable. Déjà, les vieilles regrettaient d’avoir mis leur gain au jeu. Mais le sort en était jeté. Le départ s’effectua. Le cœur leur battait fort aux trois vieilles. Elles entendaient l’annonceur décrivant la position des chevaux, mais les paroles arrivaient à leurs oreilles comme un bourdonnement confus et leur excitation était telle qu’elles ne comprenaient rien. Ce ne fut que lorsque les pur sang passèrent en trombe devant l’estrade qu’elles virent que les numéros trois et quatre finissaient en tête du groupe. À moitié folles de joie, les trois vieilles se regardaient, ne pouvant croire à leur bonne fortune. Toutes trois et la femme au chapeau rouge avaient les yeux fixés au tableau. Les jambes faillirent leur manquer lorsqu’elles virent apparaître le chiffre du rendement : $60.00 pour $2.00. Leur mise de cinq piastres leur donnait $150.00 à chacune. Une fortune fabuleuse pour les trois pauvresses. C’était pour elles une journée mémorable, une journée unique, dont elles se souviendraient jusqu’à leur dernier jour. Jamais de leur vie elles n’avaient fait un gain si élevé. La femme au chapeau rouge souriait, mais la vieille de soixante-seize ans avait des larmes aux yeux et sa bouche bavait. Les deux autres avaient l’air égaré, l’air de femmes sous l’effet de la drogue.

— On va se faire payer. Je vais chercher l’argent, fit l’étrangère. Attendez-moi à l’entrée du passage.

Plus heureuses qu’elles ne l’avaient été depuis des années, les trois vieilles se tenaient dans le couloir conduisant à la sortie. Elles étaient impatientes de voir leur argent de leurs yeux, de le tenir entre leurs mains, de le palper, d’avoir