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LE DESTIN DES HOMMES

sur la piste pour la sixième, la vieille de soixante-seize ans s’enhardit et, se penchant vers la femme au chapeau rouge : Vous ne mettriez pas cinquante sous avec nous sur cette course ?

L’autre se mit à rire.

— Je veux bien, dit-elle, mais avez-vous un bon cheval ?

— Je parierais sur le numéro un, répondit la vieille. Le jockey Russell le fera sûrement gagner.

— Je n’ai pas confiance en Russell ni dans sa monture. Si vous voulez risquer votre argent sur le numéro cinq, je me joins à vous autres.

— Alors essayons notre chance sur le cinq, décida la vieille.

Et chacune des trois commères remit cinquante sous à la femme au chapeau rouge. Celle-ci se dirigea immédiatement vers le guichet et revint une couple de minutes plus tard avec un billet qu’elle montra à ses compagnes d’occasion. La parade, le départ, la course et la victoire du numéro cinq, tout cela fit aux trois vieilles l’effet d’un rêve, d’une chose irréelle, d’une scène de cinéma dont elles auraient été témoins. Mais lorsqu’elles virent afficher au tableau le rendement du vainqueur, $20.50 pour $2.00, elles exultèrent. Et lorsque la femme au chapeau rouge leur remit à chacune un billet de $5.00 et une pièce de monnaie, leur joie devint du délire. Mais au milieu de leur enthousiasme, la même pensée leur vint : la septième et dernière course et le pari double. Chacune des trois vieilles était mordue par l’ambition de gagner encore.

— Allez-vous tenter votre chance sur le pari double ? demanda à l’étrangère la doyenne des trois vieilles.

La femme au chapeau rouge étudiait son programme mais à ce moment l’homme à la cravate flottante qui lui