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LE DESTIN DES HOMMES

chapeau. Ses souliers ont de l’usure, beaucoup d’usure. Le tout s’accorde bien avec la vieille, car, lorsqu’elle ouvre la bouche, on voit qu’il lui manque deux dents du haut, en avant, et elle a sur la lèvre supérieure de longs poils blancs, très raides. Pas belle à voir. Ses compagnes non plus d’ailleurs. L’une, longue, maigre, coiffée d’une espèce de galette posée sur une tignasse de cheveux gris, porte un boléro rouge feu. La troisième, encore plus maigre que les deux autres, a sur les tempes deux petites nattes postiches pour cacher ses cheveux blancs. Et elle n’a qu’une dent, une dent pointue qui ressemble à celle d’un chien.

Elles voudraient bien, les trois vieilles, trouver une associée pour réunir deux piastres et faire un pari. Et comme ça, une jolie femme dans la trentaine, coiffée d’un grand chapeau rouge, et qui, apparemment, se cherchait un siège, alla s’asseoir sur le bout de leur banc. Elle portait une élégante robe de crêpe noir avec de grandes fleurs rouges. Sa figure et ses mains étaient bien astiquées et toute sa personne dégageait une odeur de savon de luxe tandis que les trois vieilles sentaient la sueur, le suri des vieilles peaux mal lavées. Elles la regardaient, désappointées, car la nouvelle venue ne paraissait pas être de la catégorie de celles qui se mettent à quatre pour former un montant de deux piastres. La femme au chapeau rouge étudiait son programme. Puis soudain elle ouvrit sa sacoche, en sortit un petit flacon de vin, s’en versa un verre et le but avec un plaisir évident. À ce moment, les chevaux défilaient devant le public avant la troisième course. Un homme passa. Il s’arrêta un moment devant la femme au chapeau rouge.

— Qu’est-ce que vous avez choisi ? demanda-t-il.

— Je n’ai rien choisi. J’attends. Et vous ?