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LE DESTIN DES HOMMES

mari, alla aux courses et perdit. Elle ne comprenait pas ça, la veuve. « Non, vous n’êtes pas chanceuse », déclarèrent les amies. « Ça c’est vrai. Alors, faites donc pour un changement quelques petites affaires à la Bourse. Là, vous savez, tout le monde gagne. Vous allez voir comme c’est facile et intéressant. » Docile, la veuve alla voir un courtier et spécula sur marge sur les valeurs qu’on lui indiqua. Alors, en quelques mois, elle perdit tout l’argent laissé par son défunt. « J’étais folle, je ne savais pas ce que je faisais. Mes amies me disaient de faire une chose et je les écoutais. Un jour, je me suis trouvée sans le sou. Pour vivre, j’ai dû m’adresser à ma fille qui est mariée et qui demeure aux États-Unis. Je voudrais bien aller la rejoindre. Elle me prendrait chez elle, mais les autorités de l’immigration ne veulent pas me laisser entrer, craignant que je ne devienne à charge au pays. Alors, je reste ici et, en se privant, ma fille et mon gendre m’envoient quelques piastres pour que je ne crève pas de faim, mais moi, vieille folle, vieille crapule que je suis, je prends cet argent et je vas le porter aux courses. C’est plus fort que moi. C’est ma seule passion. Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne joue pas aux cartes, mais je parie sur les courses. Dans ma famille et dans celle de mon mari personne ne connaissait ça. Il a fallu que je prenne ce vice sur mes vieux jours. Je me prive de manger pour parier. J’habite une pauvre petite chambre grande comme la main dans une famille privée, mais on ne me permet seulement pas de me faire une tasse de thé. Si j’en veux une, il faut que je sorte et que je paie. À l’heure du midi, je vais manger un hot-dog ou un sandwich au restaurant. Et toujours seule, excepté aux courses. »

Après vous avoir débité son histoire, elle vous demande si vous n’avez pas un bon tuyau à lui communiquer. Elle est tout de noir vêtue avec une boucle blanche à son