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LE DESTIN DES HOMMES

— Ah ! une automobile pour aller en Californie. Je n’ai jamais eu le temps de faire le voyage, mais aujourd’hui je suis décidé. D’ailleurs, M. le curé m’a demandé pour l’amener avec moi.

Le père Gédéon le regardait, éberlué.

— Pis, quand pars-tu ?

— Dans deux semaines. À la St-Michel.

— Mais ça coûte des cennes pour aller par-là. C’est pas à la porte.

L’autre éclata de rire.

— C’est le curé qui paie les dépenses. Moé, j’sus son guide.

Et Gédéon Quarante-Sous comprit que son ancien camarade avait l’esprit dérangé, la raison obscurcie. Ça c’est bien triste.

— Bon voyage, dit-il, et il s’éloigna.

On vient pour voir les gens qu’on a connus autrefois et on les trouve l’intelligence perdue, bons à interner dans un asile d’aliénés. Et il se retourna pour voir une dernière fois la maison où habitait le malheureux Leroux. Ce pèlerinage dans le passé ne lui apportait que des désillusions. Je vais aller voir Prosper Dupuis, se dit le vieux Gédéon en reprenant la route. Prosper Dupuis avait été bien établi par son père. Un beau cent arpents, bien clair à lui, avec une paire de chevaux et des instruments aratoires. Tout ce qu’il fallait. Il s’était marié, avait travaillé, avait réussi. Après avoir donné du bien à ses quatre garçons et avoir marié ses filles avec des habitants à l’aise, il se reposait et vivait de petites rentes. Voilà ce qu’il raconta au père Gédéon.

— Mais alors, tu es parfaitement heureux. Tu n’as pas de soucis et tu parais en bonne santé.