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LE DESTIN DES HOMMES

vulgaire habitant, fruste, buté, têtu et pauvre, pauvre. Comment avait-il pu la trouver charmante ? Comment avait-elle pu le croire riche ?

À maintes reprises pendant les froides journées d’hiver ou les lourdes et glaciales pluies d’automne, Amanda, rentrant dans sa cuisine après une absence de quelques minutes, s’adressait à son mari, disant d’un ton larmoyant : « Cyrille, ça n’a pas de bon sens d’être obligé de sortir pour aller à cette vieille cabane en arrière de la maison. Tu devrais faire aménager une chambre de toilette. »

Mais Cyrille ne répondait pas. C’était comme s’il n’avait pas entendu. D’ailleurs, il n’avait pas d’argent.

Mais, un automne, la municipalité désirant construire une voie qui relierait deux routes en forme de V qui, partant à un mille et demi de la ferme de Cyrille, la coupaient transversalement et allaient toujours en s’éloignant l’une de l’autre, lui offrit mille piastres pour une lisière de terrain pour un chemin de traverse. Mille piastres, c’était un montant et malgré qu’il lui répugnait de diviser ainsi une partie de sa terre, il accepta. Lorsqu’il eut été payé, Amanda revint à la charge au sujet de la chambre de toilette.

— Qu’est-ce que tu vas en faire de cet argent ? Le serrer ? Écoute, on a eu assez de misère avec la vieille cabane. Fais construire des cabinets. Tiens, Philias Marcheterre, qui est chômeur depuis deux mois, te ferait ce travail à bon marché. Va le voir.

Pour une fois Cyrille céda. Il rencontra le plombier Marcheterre et s’entendit avec lui sur le prix, le plan et le matériel. En deux semaines environ la chambre de toilette était terminée. Lorsque le plombier fit descendre la chute d’eau dans le bol de faïence, montrant que son travail était fini, Amanda eut un moment de profond contentement. Désormais elle n’aurait plus à sortir au froid