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LE DESTIN DES HOMMES

tendresse. Et un colloque s’engageait dans leurs regards entre les deux amis.

Le Maître. — La vie n’est pas drôle et, si je ne t’avais pas eu la mienne aurait été encore plus triste.

Le Chien. — Tu as été tout ce que j’ai connu de bon.

Le Maître. — Tous les gens sont des voleurs, mais toi tu n’as jamais dérobé une grillade ou une côtelette.

Le Chien. — Pourquoi l’aurais-je fait ? Tu m’as toujours bien traité. Souvent tu m’as donné ta part de dessert.

Le Maître. — Mon pauvre chien, nous sommes bien vieux tous les deux et il ne nous reste pas longtemps à vivre.

Le Chien. — Toi et moi nous nous reposerons. Grâce à toi je n’ai jamais connu la faim.

Le Maître. — Je n’ai jamais aimé personne comme toi.

Le Chien. — Un jour que deux dogues m’avaient attaqué, tu es venu à mon secours. Tu as cassé les reins du plus gros d’un coup de bâton et tu as chassé l’autre d’un coup de pied.

Le Maître. — Laisse-t-on maltraiter un fidèle ami ?

Le Chien. — Tu ne m’as jamais battu. Tu as été un bon maître.

Et dans les yeux de la bête galeuse, puante et couverte d’ulcères, il y avait comme des larmes tandis que la main du vieil homme caressait doucement le cou du chien tout frissonnant par cette chaude journée d’été.

Certes, le chien était bien vieux, bien affligé pour l’âge, mais il n’était pas le seul dans ce cas à la maison. Amanda, l’ancienne veuve, avait perdu de son reluisant et, avec ses cheveux grisonnants et son nez rouge, elle n’était plus troublante du tout et lui, Latour, n’était qu’un