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LE DESTIN DES HOMMES

Hélène, il est malheureux au possible. Pauvre Poléon ! s’exclame-t-il, des larmes aux yeux et dans la voix. Tiens, si je tombais malade et si je mourais, il aurait moins de peine que pour Poléon. Ça fait bien plus de cent ans qu’il est mort et il le pleure encore. » Et lancée sur ce sujet, elle continue : « Quand son chien Bayard est mort, il l’a enterré comme si ç’avait été son frère. Et ce qu’il a eu de la peine, ce qu’il a eu de la peine, je ne pourrai jamais assez le dire. Ah ! non, ce n’est pas moi qu’il aurait regrettée comme ça. Il a été des semaines rongé par le chagrin. Il ne parlait pas. Il pensait à son chien. Ah ! je me demande ce qu’il aurait fait s’il avait su que c’est moi qui l’ai empoisonné. Bien sûr qu’il m’aurait flanquée à la porte Pour son vieux chien écœurant il n’y a rien qu’il ne ferait pas. Il lui achète de la viande qu’il paie trente cents la livre. Rien de trop bon pour cette répugnante bête. Comme je te l’ai déjà dit, il se serait levé dix fois pendant la nuit pour le faire sortir, si l’animal en avait manifesté le besoin. Mais moi, lorsque j’ai été malade, je l’ai appelé une fois et lui ai demandé de m’apporter le vase de nuit, mais il n’a pas bougé. »

Il était vraiment bien malade le vieux chien. Par une chaude après-midi d’été alors que son maître reposait devant sa maison sur une chaise en rotin à moitié démolie par les pensionnaires, Capitaine, assis sur son arrière-train et la tête appuyée sur la jambe de Latour, frissonnait en dépit de la chaleur accablante. Ses flancs purulents et son corps tremblaient comme les feuilles au vent d’automne. Pitoyable, le cœur tout remué en contemplant la bête qui s’était réfugiée près de lui comme pour en obtenir un soulagement, l’homme songeait que les jours de son ami étaient comptés. La fin approchait. Il regardait l’animal qui dressait sa tête vers lui avec des yeux chargés de