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LE DESTIN DES HOMMES

— Mais, dis-moi donc, Cyrille, ce que tu veux faire d’une moissonneuse et d’un sarcloir ? Tu n’es plus capable de travailler et tu laisses ta terre en friche. C’est tout simplement jeter de l’argent sur la route.

— Tu crois ? Hé bien, je suis certain de faire le double de ce que j’ai payé. J’ai eu ces instruments à très bon marché et je n’aurai pas de peine à les revendre avec un gros profit.

Mais comme il n’a pas un cheval pour aller les chercher, la moissonneuse et le sarcloir se détérioreront à la pluie et au mauvais temps là où ils sont, là où il les a achetés. Probablement qu’ils resteront là et qu’il n’ira jamais les réclamer.

Il y avait bien quatre ans que Latour, par suite de son manque de forces, avait renoncé à cultiver sa terre, lorsque Ludger Trudeau, son deuxième voisin, vint le trouver un matin de mai.

— Tu ne me vendrais pas ta grange ? lui demanda-t-il. Je la déferais et je la reconstruirais chez moi.

— Si je vendais ma grange, je serais obligé d’en bâtir une autre, répondit posément Latour.

Alors, la vieille grange complètement inutile et qui est un nid à rats pourrira sur place.

À la maison, les pensionnaires se succédaient, se remplaçaient. La femme avait commencé ce métier, il lui fallait maintenant continuer. Elle était comme prise dans un engrenage. Alors, lorsque les citadins étaient partis, elle avait accepté de prendre des travailleurs. Eux avaient des heures régulières pour les repas, mais il fallait se lever de très grand matin. Ce n’était pas gai de sortir du lit lorsqu’elle avait sommeil et qu’il faisait froid et noir dans la maison. Mais tout de même elle se mettait debout et allumait le poêle. Ah ! ce n’était pas là ce qu’elle avait rêvé