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LE DESTIN DES HOMMES

déplacé le fanal, l’avait ouvert et avait laissé tomber sur le plancher les bouts d’allumettes que le fermier Latour regardait avec une espèce de vénération. Cela lui avait semblé une profanation et pendant une quinzaine, il avait été furieux contre le jeune voleur, le jeune vandale.

Un jour, Latour était arrivé à la maison avec une vieille horloge grand’père et l’avait installée dans un angle de la salle à manger. Debout dans la pièce, il la contemplait avec une expression d’orgueil et de contentement sur la figure.

— Mais, dis-moi donc, Cyrille, ce que tu veux faire de cette vieillerie ? Est-ce qu’on avait besoin de ça ? On dirait un cercueil.

— C’est la plus vieille horloge de la paroisse, répondit-il. Elle a plus de cent ans. Les mouvements sont en bois. Elle avait appartenu au père Dumouchel qui a été enterré il y a dix jours. Sa fille Valentine me l’a offerte pour dix piastres et je l’ai achetée. À Montréal, on m’en donnerait cinquante, mais je veux la garder.

— Avec cet argent, on aurait pu acheter une belle pendule neuve. Est-ce que l’horloge marche au moins ?

— Non, c’est une antiquité. Je ne l’échangerais pas pour la plus belle pendule que tu pourrais trouver au village.

Découragée, elle se tut.

Le culte d’un héros comme Napoléon 1er, celui des hommes de 1837, l’amour des vieilles choses, des souvenirs du passé, elle ne comprenait pas cela. C’était quelque chose qui dépassait son raisonnement pratique. Avoir une cave remplie de conserves et de provisions, une automobile, des amis, les visiter et les recevoir. Ça, c’était dans sa note.

Un midi, au dîner, Latour remarqua avec surprise que sa femme avait les ongles rouges. Dans la chambre