Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
LE DESTIN DES HOMMES

Quelle idée ai-je donc eue de marier un habitant ? J’aurais tant aimé ça vivre comme du monde.

Une chose qu’elle trouvait extrêmement pénible dans son métier d’habitante, c’était de traire la vache. Cette besogne lui causait des douleurs aiguës dans les muscles des doigts. « C’est effrayant ce que ça me fait souffrir », déclarait-elle à une voisine. Malgré les années, elle ne pouvait s’habituer à cette corvée. Dans les premiers temps, Latour lui avait déclaré que tirer la vache, c’était l’ouvrage de la femme. Elle s’était soumise, mais souvent, elle se plaignait.

— Qu’est-ce que tu dirais si tu en avais douze comme ma mère ? lui avait demandé son mari.

— Bien, ta mère était meilleure et plus patiente que moi. Et si tu en avais deux au lieu d’une, je ferais mon paquet et j’irais gagner ma vie ailleurs, avait riposté Amanda.

Tout de même, matin et soir, elle continuait de traire la vache.

L’abîme mental qui séparait l’homme et la femme allait sans cesse s’élargissant.

Un avant-midi d’été pendant la guerre, Latour qui rôdait près de sa grange vit arriver à lui un particulier qui, après un bref bonjour, lui demanda : « M. Latour, vous ne me vendriez pas la vieille lieuse qui est dans votre champ ? Je vous en donnerais $150. »

— J’ai déjeuné ce matin, répondit froidement celui-ci, insinuant par là qu’il n’avait pas besoin de l’argent de son acheteur pour manger.

L’autre tourna alors sur les talons et s’éloigna sans ajouter un mot. Entrant un moment plus tard à la maison, Latour déclara à sa femme : « Un habitant de la Beauce est