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LE DESTIN DES HOMMES

Plus le curé recommande de prier, moins elle prie. Ce qu’elle veut, c’est prier de son propre mouvement, alors qu’elle en éprouve le besoin et qu’elle se sent en communion avec le Divin Maître. Le prône du dimanche est pour elle une pénitence. Pendant une demi-heure, le curé essaie de lire un texte du Nouveau Testament ou des Évangiles, mais il est vieux et lit très mal, comme un jeune écolier qui ânonne. Elle trouve fatigant au possible de l’entendre.


Le commerce n’allait guère et la marchande traversait de mauvais moments. Un jour de crise plus aiguë, alors qu’elle était sans le sou, mettant son orgueil de côté, elle alla voir le curé, lui demandant un peu d’aide, un léger secours. Mais en la voyant et en l’écoutant, le vieux prêtre sentit remonter en lui la sainte indignation qu’il avait ressentie ce dimanche où elle était entrée à l’église pour la grand’messe dans un élégante toilette afin d’épater les campagnards et il lui répondit :

— Madame, ceux qui sont dans l’indigence aujourd’hui, dans le besoin, c’est qu’ils n’ont pas voulu penser à l’avenir, qu’ils n’ont pas voulu se protéger. Alors ils doivent porter la responsabilité de leurs actes et subir le sort qu’ils se sont attirés. C’est tant pis pour eux.

La solliciteuse sortit furieuse du presbytère. En s’en allant, elle monologuait à haute voix. « Au lieu d’aider les pauvres, de faire la charité, les curés, le ventre plein, les raisonnent, leur font la morale. C’est plus facile que de donner et ça coûte moins cher. Ils récoltent l’argent des mariages, des services pour les défunts, des messes pour les biens de la terre, pour les âmes du purgatoire et tout ce que vous voudrez, mais ils le gardent pour eux. »