Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
LE DESTIN DES HOMMES

à Montréal et une foule de onze mille personnes remplissait l’amphithéâtre lorsque les deux boxeurs firent leur apparition dans l’arène. Chacun d’eux fut applaudi, mais Brisebois fut frénétiquement acclamé. Le Canadien était plus grand que son adversaire, plutôt trapu. Pour M. Lafleur, le grand jour était arrivé. Il vivait dans une atmosphère héroïque. Tous les efforts qu’il avait faits, toute l’énergie qu’il avait dépensée allaient-ils recevoir leur récompense ? Certainement qu’il l’espérait et il entrevoyait l’avenir sous des couleurs merveilleuses. Enfin, il touchait au but. C’était l’ambition de sa vie qui allait se réaliser ou s’effondrer dans un désappointement sans nom. « Servez-vous du coup de marteau ! » recommanda-t-il à son protégé, au son de la cloche.

Tout au début, les deux hommes dansèrent, tournèrent en faisant des feintes. Jones porta de sa gauche un moulinet que Brisebois évita en jetant la tête de côté dans le même temps qu’il portait sa droite avec force sur l’oreille de l’Anglais. Celui-ci se rendit compte que son adversaire avait un poing redoutable. Il décida alors de prendre son temps pour étudier le colosse qu’il avait devant lui. La lutte devint plus lente, ni l’un ni l’autre des deux pugilistes ne voulant prendre trop de risques en attaquant, mais s’appliquant plutôt à se défendre. La foule encourageait Brisebois, lui criant de se jeter sur Jones, de cogner dur, mais on le sentait craintif et il regardait l’Anglais avec de grands yeux blancs. Cinq rondes s’écoulèrent, plutôt ternes, puis M. Lafleur se rendit compte que Jones était un peu essoufflé, manquant de l’entraînement voulu. Pendant la minute de repos qui suivit, il ordonna à Brisebois de foncer de toutes ses forces. « C’est le temps, allez-y et bûchez ferme ! » dit-il.

Comme un cheval qui reçoit un coup de fouet, Brise-