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LE DESTIN DES HOMMES

Quand, au bout de deux semaines, Brisebois revint de la métropole américaine où il avait vu tant de choses qu’il ne soupçonnait même pas, il avait non pas perdu le souvenir de son premier combat, mais l’amertume en était pas mal disparue. Biron lui avait promis en outre de lui arranger un match avec un adversaire qui ne le déclasserait pas mais avec qui il pourrait lutter à chances égales. Ce serait là un vrai combat dont il serait la principale attraction et qui lui rapporterait un bon montant.

Ainsi remonté, Brisebois se mit de nouveau à l’entraînement. Comme auparavant, M. Lafleur suivait les exercices de boxe avec l’instructeur et, dans ses conseils, il revenait toujours à son coup de marteau. « Je ne l’ai pas inventé », disait-il, « c’est un mouvement que tout le monde connaît, mais il faut apprendre à s’en servir. Pour enfoncer un clou, vous donnez un coup de marteau ; pour casser le menton ou la mâchoire de votre adversaire, vous rabattez le poing de la même manière, avec la même force ». Il revenait à la charge presque chaque jour, voulant faire entrer cette leçon dans l’esprit de son élève et jugeant que, pour un cerveau un peu fruste, un peu rudimentaire, c’était le plus simple et le meilleur à recommander.

Lorsqu’ils le rencontraient, ses amis, ses connaissances lui demandaient d’un ton où il devinait de l’ironie, de la pitié : « Puis, votre homme fait-il des progrès ? Allez-vous en faire un champion ? »

— C’est dur, ça prend du temps, mais ça viendra. Il a le physique, mais il faut lui faire entrer les leçons dans le coco. Je travaille depuis des mois à le familiariser avec un coup qui devrait le mener au succès.

Et il reprenait sa rengaine sur le coup de marteau.

Les gens l’écoutaient en souriant.