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LE DESTIN DES HOMMES

vrai dire, j’aurais préféré en avoir un qui aurait coûté la moitié moins cher et que maman se serait acheté une robe ou un manteau. Je m’imagine bien que papa ne lui refuse pas d’argent. Je suis même sûr qu’il lui en donnerait avec plaisir si elle manifestait le désir de se procurer une toilette. Je sais par expérience que papa est généreux, mais maman, elle ne pense qu’aux autres. Tout ce qu’elle demande, c’est pour les siens. Elle se sacrifie pour eux, mais à quoi bon se sacrifier ? C’est me semble-t-il, une seconde nature chez elle. Évidemment, elle ne s’en rend pas compte, mais c’est ainsi. Elle s’oublie complètement. Une mère comme elle, il n’y en a pas une autre dans toute la ville. Cela, j’en suis certain.

10 novembre

Cet après-midi en revenant de la classe j’ai soudain aperçu papa qui marchait un peu en avant de moi en compagnie d’une dame, rue Saint-Denis. Elle avait une toque de velours noir sur des cheveux blonds et un manteau gris très simple qui lui allait à la perfection. J’avais envie de retourner en arrière et de prendre une autre rue lorsque la dame s’est arrêtée et a monté les degrés d’un escalier. Je l’ai entendu dire : « À ce soir, n’est-ce pas ? » Alors, j’ai tourné sur moi-même comme une toupie et ai flâné en route pour ne pas arriver en même temps que papa. Lui ne m’avait pas vu. Après le souper, il est sorti en disant : « Ce soir, je vais au cinéma ». Toute la soirée, j’ai pensé à ce que j’avais vu et entendu. Je suis troublé.

13 novembre

L’autre jour, lorsque j’avais fait une volte-face si rapide, j’avais cependant eu le temps dans un coup d’œil