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LE DESTIN DES HOMMES

donné en prix dans les couvents. Son but en se rendant au presbytère était de demander au prêtre ce qu’il pensait de son projet. Le curé prit les lettres, en lut une demi-douzaine. « Mais c’est admirable de foi, de sentiment, de charité et de confiance en Dieu », déclara-t-il, « et le style est parfait. Faites-les imprimer et je vous écrirai une page d’introduction expliquant ce qu’était votre fille et donnant quelques notes sur sa famille ». Encouragée par cette approbation, la vieille femme s’en fut aux bureaux de L’Avenir de Valrémy, le journal local qui possédait la seule imprimerie de l’endroit. Le patron déclara qu’il ferait le travail, trois cents exemplaires, pour cent cinquante piastres. Le chiffre découragea la vieille, qui avait cru qu’avec cent piastres elle aurait pu faire imprimer les lettres de sa fille. Un peu déçue, elle les replaça dans sa commode.

Et dans la maison en deuil, la pile de livres de prix à couvertures rouges et tranches dorées, sur la petite table dans le salon, deux photographies dans l’album de famille et les lettres sont les seuls souvenirs tangibles de sœur Sainte-Perpétue.

Dans les heures silencieuses de l’après-midi ou de la soirée, les deux vieux, assis dans leur cuisine, entendaient le monotone tic-tac de la pendule et c’était comme le glas des minutes qui s’en vont, qui les poussent vers le trépas.

Les jours succèdent aux jours. Aucun d’eux n’apporte rien aux deux vieux. Simplement, ils les rapprochent un peu plus de la mort. Leur maison est sombre, vide, silencieuse et triste. Aucune lettre n’y arrivera désormais. Aucune clarté comme celle d’une lampe qui se rallume ne l’éclairera jamais plus. Vivants, les deux vieux sont déjà comme dans la solitude et les ténèbres du tombeau.