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LE DESTIN DES HOMMES

gardait le cœur gros cette ferme où il était né, où il avait été élevé et que son père lui avait donnée en héritage. À contempler cette détérioration générale, il éprouvait une impression d’accablement, de détresse. D’un pas pesant, il s’avança vers la demeure. Sous la remise, assis sur une caisse, Onésime Gendron, le propriétaire actuel, réparait un attelage. Lui aussi bien décrépit, bien cassé, bien usé. Et il ressemblait à ces débris que l’on voyait partout aux alentours. Il est vrai qu’il n’était plus jeune, car il y avait au delà de trente ans qu’il était le maître de la terre et lorsqu’il l’avait achetée, il avait déjà trois garçons. Continuant d’avancer à pas lents, Gédéon Quarante-Sous pénétra sous la remise.

— Bonjour, dit-il.

— Bonjour, répondit l’autre en déposant à côté de lui l’alêne et le ligneul qu’il avait en mains.

— C’est Gédéon Quarante-Sous qui t’a vendu sa terre. Tu me reconnais ?

— Je te reconnais sans te reconnaître. Tu as changé depuis le soir qu’on est allés ensemble chez le notaire. Ton visage est un peu ravagé, mais ta voix est la même. Pis, es-tu écarté, as-tu perdu ton chemin que tu es rendu si loin de chez vous ?

— Non, mais j’étais rendu que je jonglais trop. Je jonglais toute la journée, je jonglais le soir, je jonglais la nuit. Je jonglais tout le temps.

— Ah ! jongler c’est mauvais, surtout pour un homme de ton âge. C’est une maladie. Ça ne mène à rien de bon. Et pourquoi que tu jonglais ?

— Ah ! tu sais, je m’ennuyais là-bas et je voulais revoir la terre avant de mourir.

— Tu as du temps pour ça, mais comme tu peux le constater, elle n’est pas en ben bon ordre la terre. Qu’est--