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LE DESTIN DES HOMMES

— Elle est morte ! fit la vieille d’une voix étouffée après avoir lu la première phrase de la lettre. Et elle se tut pendant que les larmes, de lourdes larmes de mère éplorée, coulaient de ses yeux et roulaient sur sa vieille figure toute ridée. Accablée, l’image de la douleur, elle était là, tenant entre ses doigts déformés la feuille contenant la triste nouvelle et, sans parler, elle regardait son mari debout devant elle.

Ce fut une journée bien triste. Le souper en silence fut lugubre. Étendus dans leur lit dans la chambre enténébrée, les deux vieux ne pouvaient dormir, n’osaient parler de crainte de se faire trop de peine l’un à l’autre et, écrasés par ce malheur qui venait de les frapper. Puis, soudain, le vieux entendit des sanglots dans la nuit noire, sur l’oreiller voisin. La vieille mère pleurait la mort de sa fille décédée à la Louisiane, bien loin, là-bas…

Il ne leur restait plus qu’un enfant aux deux vieux, le soldat qui combattait de l’autre côté de la mer.

Puis, comme l’on avait annoncé un jour le commencement de la guerre, l’on annonça un jour qu’elle était finie, que la grande tuerie était terminée. Maintenant, les militaires allaient rentrer au pays. Les vieux furent alors dans l’attente. Quelques mois plus tard, ils reçurent du ministère de la Guerre un avis leur annonçant que le soldat Hector Boyer arriverait à Halifax le 10 janvier, sur le transport de troupes « America ». Le seul enfant qui leur restait allait revenir. Il serait avec eux dans une semaine. Alors, ils secouèrent le fardeau de tristesse qui leur courbait les épaules et perdirent momentanément leurs figures chagrines.

Demain, le fils arriverait au foyer.

Mais le lendemain, un nouveau message du ministère de la Guerre mandait que le soldat Hector Boyer man-