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LA SCOUINE

rêve. Elle l’avait meublée et avait planté des arbres tout autour pour l’embellir. Puis, elle était partie, sans même avoir eu le temps de l’habiter, enlevée subitement par une maladie de cœur.

— Quand on est mort, pas besoin de maison d’or, avait sentencieusement remarqué un voisin, au cimetière, après les funérailles.

Le fermier Bourdon s’était remarié, après six mois de veuvage, avec une demoiselle de la ville. La nouvelle venue, une jolie brune de trente-cinq ans, fraîche et grasse, à l’œil clair, avait pris possession du château

Comme Charlot et la Scouine passaient devant la somptueuse résidence, ils virent Mme Bourdon, confortablement installée dans une berceuse, sur la véranda. Elle était coquettement habillée et posait fièrement pour les promeneurs.

— A s’carre, hein ? fit la Scouine.

— Pourquoi veux-tu qu’elle travaille ?… Elle a de quoi vivre, répondit Charlot.

Par la porte entre-ouverte pour la circonstance, on apercevait les chaises placées deux par deux vis-à-vis des fenêtres, et des chromo-lithographies de saints dans des cadres dorés accrochées aux murs. On sentait le dédain des deux étrangères, la femme et la belle résidence, pour tout ce qui n’était pas elles-mêmes. Une sourde hostilité semblait émaner d’elles.

La bonne vieille maison où la famille était née et avait grandi, où la mère était morte, avait un air morne de deuil. Son âme paraissait s’en être allée par les blessures béantes des carreaux brisés. Et le château écrasait l’humble demeure de tout l’argent qu’il avait coûté.

Après une course d’une heure et demie, le clo-