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IMAGES DE LA VIE

Et la veuve se lamente :

— Pensez-vous que c’est de la malchance ? J’avais l’espoir que s’il disparaissait, je serais tranquille, j’aurais le calme, la paix. Eh bien ! je n’ai jamais eu autant de troubles que depuis qu’il est mort. D’abord, il me semble toujours le voir pendu avec la corde à linge dans son grenier. Je l’ai tout le temps devant les yeux ; c’est un cauchemar, et par moments, il me semble que je vais devenir folle. J’ai beau faire, je ne puis chasser cette vision de malheur. Puis, il y a le déshonneur qu’il a jeté sur nous en se suicidant. Nous ne pouvons sortir les enfants et moi sans que les gens se retournent à notre passage et nous regardent comme des bêtes curieuses. Nos voisins, nos amis nous évitent, ont honte de nous parler, de nous saluer. C’est à tel point que nous sommes obligés de nous en aller, d’aller vivre à la ville. Et voilà que pour finir, pour comble de malchance, j’ai été obligée de sacrifier ma maison, de la vendre à moitié prix à un juif. Pensez-vous que je suis malchanceuse ? Ce n’était pas assez pour lui de me causer des ennuis toute sa vie, voilà qu’il fait pis encore une fois mort.

— Ils font bien de partir, me confie le notaire qui vient de passer l’acte de vente, car jamais la fille n’aurait pu trouver à se marier ici.