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IMAGES DE LA VIE

— J’espère que vous n’en avez jamais douté ? demanda Dumas.

— Ah ! vous m’en avez bien souvent donné la preuve, répondit l’autre.

Ils se regardaient en face, heureux de se voir, songeant qu’ils pouvaient compter sur la loyauté et l’amitié l’un de l’autre. Les deux hommes s’entretinrent encore un moment, puis Dumas sortit pour se rendre chez lui.

Une couple de semaines plus tard, le musicien appela de nouveau son ami.

— Venez donc me voir à la maison. J’aimerais à jaser longuement avec vous. Il me passe bien des choses par la tête et j’ai le besoin de vous les communiquer.

— C’est bon, j’irai vous voir samedi après-midi, répondit Dumas.

Donc, le samedi après-midi, il sonnait à la demeure du musicien. À ce moment, il entendit un furieux aboiement à l’intérieur de la maison. La porte s’ouvrit et le musicien souriant à son ami lui fit signe d’entrer pendant que les aboiements redoublaient.

— Prince ! Prince ! va te coucher, ordonna le maître en s’adressant à un gros chien menaçant.

Dumas pénétra dans la pièce.

Alors, désignant la bête hargneuse d’un geste, le musicien déclara :

— C’est un beau chien, n’est-ce pas ? Je l’ai acheté il y a huit jours et l’ai payé seulement vingt-cinq piastres.

Et un quart d’heure plus tard, Dumas s’en retournant chez lui se disait : Pour économiser un billet de tramway, j’ai pataugé l’autre jour pendant plus d’une demi-heure dans la neige fondante, sous une pluie glacée, et avec mon argent, l’argent que je lui ai donné, il s’est acheté un chien !

Il marchait courbé avec, sur la figure, une expression amère et bien désabusée.