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IMAGES DE LA VIE

— Bien, vous n’allez pas laisser ça à des parents, je suppose. Vous savez, vos neveux et vos nièces ne vous aiment pas. Ils vous détestent. Ils attendent avec impatience l’heure de votre mort. Ce qu’ils veulent, ce sont vos piastres. Et ce qu’ils les feraient danser s’ils les avaient ! Alors, laissez une partie de votre fortune à l’hospice. Les soeurs prieront pour vous. Puis, n’oubliez pas les messes. Faites dire des messes pour le repos de votre âme. Il n’y a rien comme des messes après votre mort. Croyez-moi, ce ne seront pas les prières de vos nièces qui vous feront sortir du purgatoire. Sûr qu’elles vous laisseront rôtir là pendant longtemps. Prenez vos précautions et mettez un bon montant pour des messes. Arrangez tout cela au plus tôt, hein ? D’ailleurs, je reviendrai vous voir sous peu.

— Écoutez, lorsque j’aurai besoin de vous, je vous ferai demander, répondit d’un ton décidé la vieille demoiselle. D’ici là, on restera chacun chez soi, n’est-ce pas ? Bonjour, monsieur le curé.

Et elle ouvrit la porte pour laisser sortir le prêtre.

— Bon, bon, fâchez-vous pas, fit celui-ci. Moi, je suis venu ici en ami pour causer avec vous. Je vous ai donné de bons conseils dans votre intérêt.

— Et dans le vôtre aussi, riposta sèchement la vieille demoiselle.

— Sans rancune, fit le curé qui jeta un regard empoisonné à la vieille fille en partant.

Dans la rue, le curé se trouvait beaucoup moins satisfait que lorsqu’il était parti de son presbytère une heure plus tôt. Il suivait la grande rue, irrité de l’échec qu’il venait de subir. Ses pas témoignaient de l’agitation dans laquelle il se trouvait. Au lieu de marcher posément comme d’habitude, il avançait à une allure saccadée. Soudain, il se trouva devant le dépôt d’essence tenu par Jean Brunau, célibataire de trente ans environ. Justement, il était là, travaillant dans le radiateur d’une automobile qu’on lui avait amenée.

— Bonjour, dit le prêtre qui fit halte.

— Bonjour, monsieur le curé.

— Toujours bien occupé à ce que je vois ?