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Hymne à la terre


Ce dernier dimanche d’avril était tellement beau, tellement clair, que malgré l’heure matinale du train, j’ai laissé la ville pour aller passer la journée à la campagne. À la vue de la petite maison blanche dans laquelle j’ai vécu dix saisons qui suffiraient à illuminer, à combler toute une vie, j’ai éprouvé une joie profonde, une félicité infinie. Je la retrouvais après l’avoir quittée il y avait sept long mois. Sur tout le terrain, l’herbe était d’un beau vert, de ce vert du printemps qui vous fait toujours penser aux années de votre enfance alors que vos yeux s’émerveillaient de tout : d’une petite fleur, de la couleur ou de la forme d’un nuage, des jeunes feuilles qui commençaient à poindre et de tout ce ferment de vie qui était en vous. Avec volupté, je foulais cette herbe qui est une caresse pour l’œil et qui est si douce, si moëlleuse sous les pieds. Dans l’air lumineux, les plaines et les grands ormes couverts de bourgeons blonds, dorés, chantaient la gloire d’avril. Très haute comme toujours à cette époque, l’eau de la rivière chatoyait et miroitait au soleil et celle-ci était couverte, sillonnée de chaloupes de pêcheurs attentifs à leur ligne, absorbés par cette silencieuse et calme occupation qui est cependant leur passion. Plus loin, de l’autre côté de la rive, l’on voyait les champs verdissants, le coteau, les fermes, les arbres.

Sur le sol, dans le jardin, les grives faisaient la chasse aux vers de terre. D’un coup de bec, elles en saisissaient un, puis elles tiraient, elle tiraient, l’amenaient à elles, puis quelques-unes l’avalaient goulûment, d’autres moins affamées, le déchiquetaient et se régalaient à loisir, d’autres encore, repues, l’abandonnaient sur l’herbe après l’avoir arraché du sol.

Sur la route longeant la rivière, les élèves du couvent passaient dans leurs manteaux bleus, rouges, verts, faisant sagement