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LA PEAU DE CHAGRIN

traits décolorés les sinistres destinées qui naguère avaient fait frémir les joueurs, il lâcha les mains ; mais par un reste de suspicion qui révéla une expérience au moins centenaire, il étendit nonchalamment le bras vers un buffet comme pour s’appuyer, et dit en y prenant un stylet : — Êtes-vous depuis trois ans surnuméraire au trésor, sans y avoir touché de gratification ?

L’inconnu ne put s’empêcher de sourire en faisant un geste négatif.

— Votre père vous a-t-il trop vivement reproché d’être venu au monde, ou bien êtes-vous déshonoré ?

— Si je voulais me déshonorer, je vivrais.

— Avez-vous été sifflé aux Funambules, ou vous trouvez-vous obligé de composer des flons flons pour payer le convoi de votre maîtresse ? N’auriez-vous pas plutôt la maladie de l’or ? voulez-vous détrôner l’ennui ? Enfin, quelle erreur vous engage à mourir ?

— Ne cherchez pas le principe de ma mort dans les raisons vulgaires qui commandent la plupart des suicides. Pour me dispenser de vous dévoiler des souffrances inouïes et qu’il est difficile d’exprimer en langage humain, je vous dirai que je suis dans la plus profonde, la plus ignoble, la plus perçante de toutes les misères. Et, ajouta-t-il d’un ton de voix dont la fierté sauvage démentait ses paroles précédentes, je ne veux mendier ni secours ni consolations.

— Eh ! eh ! Ces deux syllabes que d’abord le vieillard fit entendre pour toute réponse ressemblè-