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Vous les aimez pour leur utilité. Est-ce aimer, cela ? Aime-t-on quand on aime sans désintéressement ? Non ! vous êtes sans flamme et sans joie, et vous ne connaîtrez jamais les délices de promener des doigts tremblants sur les grains délicieux du maroquin.


Il me souvient de deux vieux prêtres qui aimaient les livres et qui n’aimaient rien autre chose de ce monde. L’un était chanoine et logeait proche Notre-Dame ; celui-là portait une âme douce dans un petit corps. C’était un petit corps tout rond, fait à souhait pour ouater et capitonner une âme canonicale. Il méditait d’écrire les Vies des saints de Bretagne et vivait heureux. L’autre, vicaire d’une paroisse pauvre, était plus grand, plus beau, plus triste. Les fenêtres de sa chambre donnaient sur le Jardin des Plantes, et il s’endormait aux rugissements des lions captifs. Tous deux se retrouvaient sur les quais, devant les boîtes des bouquinistes, chaque jour que Dieu faisait. Leur tâche sur la terre était de fourrer dans la poche de leur soutane des bouquins reliés en veau, avec les tranches rouges. Ce sont là sans doute des travaux simples, modestes et bien appropriés à la vie ecclésiastique. Je dirais même qu’il y a moins de danger, pour un prêtre, à fouiller les étalages sur les parapets qu’à contempler la nature dans les champs et dans les forêts. Quoi qu’en dise Fénelon, la nature n’est pas édifiante. Elle manque de pudeur, elle conseille la lutte et l’amour ; elle est sourdement voluptueuse ; elle trouble les sens par mille odeurs subtiles : on s’y sent environné de baisers et de souffles ardents. Sa paix même