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de son maître Stendhal, l’immoralité systématique. Stendhal et Mérimée mettaient expressément certaines audaces, certaines violences au rang des devoirs les plus impérieux de l’honnête homme. Je voudrais au moins qu’on nous laissât libres et qu’il nous fût permis aussi d’être quelquefois respectueux. Il n’y a guère de devoirs agréables, et les devoirs à rebours sont parfois plus pénibles que les autres. Mais cette brutalité n’était qu’une grimace. Mérimée cachait sa blessure. Il était touché au cœur, et il ne trahissait sa souffrance qu’en parlant de la passion des autres. C’est ainsi qu’il écrit un jour à mistress Senior :

Je crois qu’on n’est jamais malade de la poitrine en Espagne, mais bien du cœur, viscère inconnu ou racorni au nord des Pyrénées. J’ai dans mes tablettes plusieurs cas lamentables de pareilles maladies, entre autres celui de deux personnes qui s’aimaient et qui sont mortes à huit jours d’intervalle. Ce qui vous surprendra beaucoup, c’est que ce n’était pas un mari et une femme, ou, pour mieux dire, c’était un mari marié à une autre femme et une femme mariée à un autre mari. Ils avaient l’indignité de s’aimer malgré leur position ; aussi ont-ils été bien punis. Espérons qu’ils rôtissent dans un endroit que je ne nommerai pas et qui est institué pour de si grands coupables.

Ne sentez-vous pas qu’il y a sous cette ironie une sympathie ardente ? Mérimée fut toujours sincèrement convaincu de la légitimité des passions. Il ne leur demandait que d’être vraies et fortes. Et cette conviction lui ins-