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intelligent. D’ordinaire, les miracles durent peu. Celui-ci cessa trop tôt. Le périlleux équilibre de deux facultés contraires qui nous avait émerveillés se rompit. Chez M. Sully-Prudhomme, l’intelligence l’emporta sur la sensibilité. Les facultés intellectuelles, si riches dans cette nature, se développèrent avec une puissance tyrannique. Au poète des Solitudes succéda le poète de la Justice. Aux impressions rapides et profondes, M. Sully-Prudhomme préféra les pensées pures, longuement enchaînées les unes aux autres. Il cessa d’être élégiaque et devint philosophe. Je suis loin de m’en réjouir. Mais je ne saurais l’en blâmer. Alors même qu’on préfère en secret les troubles délicieux de la première heure à la sérénité du soir, il faut taire de vains regrets et avouer de bon cœur que, si c’est fini de sourire et de pleurer, il sera bon, peut-être, de méditer, et qu’enfin la Polymnie accoudée a aussi des grâces irrésistibles.

Le poème du Bonheur est un poème philosophique. On y apprend les aventures extra-terrestres de Faustus et de Stella. Comme l’Eiros et la Charmion, comme le Monos et l’Una du visionnaire américain, Faustus et Stella forment un couple affranchi par la mort. Ils goûtent ensemble, loin de cette humble et misérable terre, la paix dans le désir et la joie dans l’immortalité. En les évoquant, le poète les a adjurés de nous dire l’ineffable. Et c’est là une adjuration redoutable. Faustus et sa douce Stella ne reviennent de l’inconnu, à la voix du poète, que pour nous faire entendre des paroles inouïes et nous apporter la révélation des secrets qui nous tiennent