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celui-là est inimitable. C’est l’art parfait. Lorsque les Gracques parlaient au peuple, ils se faisaient accompagner, dit-on, par un joueur de flûte. Quand M. Jules Simon parle, une flûte délicieuse l’accompagne ; mais elle est invisible et chante sur ses lèvres. M. Jules Simon est philosophe autant et plus que M. Challemel-Lacour. Il sait l’oublier à propos. Il sait tout. Tour à tour insinuant, ironique, tendre, véhément, il a toutes les parties de l’orateur. Quand il monte à la tribune, il semble accablé. Appuyé des deux mains à la tablette d’acajou, il promène sur l’assemblée des yeux mourants qui tout à l’heure se chargeront d’éclairs ; il traîne les sons d’une voix éteinte qui peu à peu se ranime, s’enfle, puis se mouille de larmes ou gronde ainsi qu’un tonnerre mélodieux. Il est maître de lui comme de l’auditoire. Ému, mais vigilant, il saisit les interruptions et les emporte dans le mouvement harmonieux de sa pensée, comme un fleuve entraîne les rameaux qu’on lui jette. Tout lui sert ; il est le grand artiste dont le génie plastique transforme aisément toutes les matières que rencontre sa main, et il n’a à redouter que sa perfection même.

Quelle belle galerie on ferait avec les portraits des principaux orateurs de la Chambre haute ! Quelle diversité dans les physionomies, que de contrastes heureux et comme les figures se feraient valoir les unes les autres !

Ici, ce serait M. le duc d’Audiffret-Pasquier se rejetant, en arrière de la tribune, contre le bureau du président, assemblé, ramassé dans sa force et dans son é