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ser un portrait. Le peintre aurait, pour racheter sa faiblesse, l’avantage d’avoir étudié son modèle.

L’attitude est d’une raideur majestueuse. Le geste sobre ; la voix grave, sonore dans son médiocre volume. L’haleine, un peu courte, est si bien ménagée qu’elle suffit aux plus longues périodes. Quant à la phrase, elle est ample et se déroule avec une sévère magnificence. Par le calme de la tenue, par l’art de la diction, par le goût pur de la forme, cet orateur rappelle tout ce que nous imaginons de l’éloquence antique. Il parle, et l’on croit voir les abeilles de l’Hymette voltiger autour de sa barbe d’argent.

Il a l’esprit méditatif, et tout ce qu’il dit est empreint d’un caractère de sagesse. Je n’ai pas besoin de dire que j’entends ici par sagesse la disposition d’un esprit enclin à rechercher les causes et à suivre à travers les faits l’enchaînement des idées. M. Challemel-Lacour est philosophe. De là, une sorte de tristesse grave répandue sur toutes ses paroles. Il n’y a pas de philosophie gaie, et la sienne est particulièrement triste. Ce sage est frappé de l’écoulement universel des choses et de l’instabilité qui est la condition nécessaire de la vie. L’idée du mal universel ne le quitte jamais, et il porte une sorte de pessimisme stoïque jusque dans les débats parlementaires. On le sentait bien mercredi quand il prononçait ce discours, d’un art achevé. On le sentait mieux encore quand, en 1883, il prenait la parole à la même tribune comme ministre des affaires étrangères. Sa philosophie dominait sa politique ; il semblait plus persuadé