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Mais finalement on ne sait s’il dirige ou s’il est dirigé. Il échappe sans cesse à Prospero, qui le trouve exquis, et qui pourtant finit par lui rendre sa liberté et l’éloigner définitivement des affaires. Enfin, Ariel appartient depuis trop longtemps à ce que nous appelons les classes dirigeantes.

Quant à Caliban, c’est une brute, et sa stupidité fait sa force. Ce « veau de lune », comme l’appelle Stefano, est le peuple et le peuple tout entier. Dans l’opposition, il est sans prix. Il a pour détruire d’étonnantes aptitudes. Il ne comprend rien ; mais il sent, car il souffre. Il ne sait où il va ; cependant, sa marche est lente et sûre ; en rampant il s’élève insensiblement. Ce qui le rend redoutable, c’est qu’il a des instincts et peu d’intelligence. L’intelligence est sujette à l’erreur ; l’instinct ne trompe jamais. Il a de grands besoins, tandis que l’exquis Ariel n’en a plus. C’est un animal, il est hideux, mais il est robuste. Il a voulu épouser la fille de son prince, la belle Miranda ; il s’y est pris un peu trop vite et on ne la lui a pas donnée. Mais il est patient, il est entêté : un jour, il obtiendra une autre Miranda et il aura des enfants moins laids que lui. Il crée beaucoup de difficultés aux gouvernants. Il gémit, il menace, il murmure sans cesse. Il aime à changer de maître, mais il sert toujours. Prospero lui-même en convient. « Tel qu’il est, dit le duc, nous ne pouvons pas nous passer de lui. Il fait notre feu, il apporte notre bois et nous rend bien des services. » C’est là un aveu qu’il faut retenir et quand ensuite le prince donnera à Caliban les noms d’esclave