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LA VIE LITTÉRAIRE.

fortune. Là, au milieu de son luxe, paisible, elle compose un dernier chef-d’œuvre de perfidie : elle séduit le seul ami qui soit resté à son mari. Clémenceau l’apprend : c’en est trop ; il accourt, il se précipite chez elle, il la revoit, il la trouve charmante, amoureuse, car elle l’aime toujours. Elle est belle, elle est irrésistible. Que fait-il ? Il la possède une fois encore et il la tue.

Tel est le sujet, l’argument, comme on disait dans la vieille rhétorique. On sait qu’il est traité avec une habileté d’autant plus grande qu’elle se cache sous les apparences d’un naturel facile. Il est superflu aujourd’hui de louer dans ce livre la simplicité savante, l’éloquence sobre et passionnée. J’ai dit qu’il y avait dans l’Affaire Clémenceau une œuvre d’art et une thèse morale. L’œuvre d’art est de tout point admirable. Quant à la thèse, elle fait horreur, et toutes les forces de mon être me soulèvent à la fois contre elle.

Si Clémenceau disait : « J’ai tué cette femme parce que je l’aimais », nous penserions : « C’est, après tout, une raison. » La passion a tous les droits, parce qu’elle va au-devant de tous les châtiments. Elle n’est pas immorale, quelque mal qu’elle fasse, car elle porte en elle-même sa punition terrible. D’ailleurs, ceux qui aiment disent : Je la tuerai ! mais ils ne tuent pas. Mais Clémenceau n’allègue pas seulement son amour, il invoque la justice. C’est ce qui me fâche. Je n’aime pas que ce mari violent, et qui devint un amant, prenne des airs de justicier. Je n’aime pas qu’il brandisse comme l’instrument auguste des vengeances publiques, le cou-