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côté de la leur ? Et combien je me sens humble et petit devant eux ! Ce qu’ils font est nécessaire. Et nous, frivoles jongleurs, vains joueurs de flûte, pouvons-nous nous flatter de faire quelque chose qui soit, je ne dis pas utile, mais seulement innocent ? Heureux l’homme et le bœuf qui tracent leur droit sillon ! Tout le reste est délire, ou, du moins, incertitude, cause de trouble et de soucis. Les ouvriers que je vois de ma fenêtre battront aujourd’hui trois cents bottes de blé, puis ils se coucheront fatigués et contents, sans douter de la bonté de leur œuvre. Oh ! la joie d’accomplir une tâche exacte et régulière ! Mais moi, saurai-je ce soir, mes dix pages écrites, si j’ai bien rempli ma journée et gagné le sommeil ? Saurai-je si, dans ma grange, j’ai porté le bon grain ? Saurai-je si mes paroles sont le pain qui entretient la vie ? Saurai-je si j’ai bien dit ? Sachons, du moins, quelle que soit notre tâche, l’accomplir d’un cœur simple, avec bonne volonté. Voilà déjà deux ans que j’entretiens des choses de l’esprit un public d’élite, et je peux me rendre ce témoignage que je n’ai jamais obscurci devant lui la candeur de ma pensée. On m’a vu souvent incertain, mais toujours sincère. J’ai été vrai, et par là, du moins, j’ai gardé le droit de parler aux hommes. Je n’y ai d’ailleurs aucun mérite. Il faut, pour bien mentir, une rhétorique dont je ne sais pas le premier mot. J’ignore les artifices du langage et ne sais parler que pour exprimer ma pensée.

Sur cette côte, parmi les vignes dont les ceps se tordent au ras d’une terre brûlante, aucun livre nouveau