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anthologie.

Tout ce que la jeunesse aimait alors, tout ce qu’exaltait l’art renaissant lui eût fait horreur, le son des cloches, les cathédrales, les cimetières, les batailles, et les Te Deum. De tout ce qui excitait alors les imaginations, je ne vois guère qu’Ossian et Malvina dont il eût pu s’accommoder ; pour tout le reste, l’esprit le plus dépaysé, le plus étranger, le plus malheureux.

Mais je crois voir venir un de mes amis du Parnasse, je dis des plus fameux, M. Catulle Mendès ou M. Armand Silvestre ; je le sens qui me tire par la manche, je l’entends qui me dit :

— À propos de poète, vous me parlez de religions, et de philosophies, et de mœurs publiques, et de goûts, et de sentiments. Qu’est-ce que cela en poésie ? Il importe peu qu’André Chénier ait eu les idées de ses contemporains, et même qu’il ait eu des idées quelconques. Cela ne compte pas. Ce qui compte c’est la forme pure, c’est la coupe, le rythme, un certain pli du vers. Et par là, par quelques césures, Chénier est moderne. Il est l’initiateur, il est le maître.

J’estime infiniment, pour ma part, les vers bien faits. Je ne crois pas qu’il y ait de poésie sans art ni d’art sans métier. Mais je soutiens que, même pour la forme du vers, André Chénier est un pur classique du xviiie siècle. Sans doute il a un délicieux tour qui lui est propre. Son vers, ferme et flexible à la fois, est d’une harmonie audacieuse et charmante ; il est de beaucoup le premier des versificateurs comme le premier des poètes de son temps. Mais son art n’est point essentiellement différent