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PRÉFACE.

sans cesse renouées, de longues rêveries, une curiosité vague et légère qui s’attache à tout sans vouloir rien épuiser, le souvenir de ce qui fut cher, l’oubli des vils soins, et le retour ému sur soi-même. Quand nous les lisons, ces livres excellents, ces livres de vie, nous les faisons passer en nous. Il faut que le critique se pénètre bien de cette idée que tout livre a autant d’exemplaires différents qu’il a de lecteurs et qu’un poème, comme un paysage, se transforme dans tous les yeux qui le voient, dans toutes les âmes qui le conçoivent. Il y a quelques années, comme je passais la belle saison sous les sapins du Hohwald, j’étais émerveillé, pendant mes longues promenades, de rencontrer un banc à chaque point où l’ombre est plus douce, la vue plus étendue, la nature plus attachante. Ces bancs rustiques portaient des noms qui trahissaient le sentiment de ceux qui les avaient mis. L’un se nommait le Rendez-vous de l’amitié ; l’autre le Repos de Sophie, un troisième le Rêve de Charlotte.

Ces bons Alsaciens qui avaient ainsi ménagé à leurs amis et aux passants les « repos » et les « rendez-vous » m’ont enseigné quelle