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et toute la femme. Il y a beau temps que les lauriers sont coupés dans les bois du Parnasse. Ils repoussent, mais toujours sur les mêmes souches. Sans nous embarrasser dans tant de systèmes, reconnaissons-le naïvement : anciens et modernes, classiques, romantiques, naturalistes, ont représenté, chacun à sa façon, l’homme et tout l’homme.

Ce qu’il y a de plus neuf dans la formule de M. Charles Morice, c’est le mot « suggérer » . Cela, je l’avoue, est terriblement moderne, et même moderniste. J’en sens tout le prix. La suggestion est quelque chose de nouveau, de mystérieux encore et de mal défini. La suggestion est à la mode. Le poète, aujourd’hui, doit être suggestif. Il suggère. Quoi ? Ce qui ne peut être exprimé. Il est le Bernheim de l’inouï, le Charcot de l’ineffable. Non plus exprimer, mais suggérer ! Au fond, c’est là toute la poétique nouvelle. Elle interdit de représenter des idées, comme on faisait autrefois ; elle ordonne d’éveiller des sensations.

Il fut des temps barbares et gothiques où les mots avaient un sens ; alors les écrivains exprimaient des pensées. Désormais, pour la jeune école, les mots n’ont plus aucune signification propre, aucune relation nécessaire entre eux. Ils sont vidés de leurs sens et déliés de toute syntaxe. Ils subsistent pourtant, à l’état de phénomènes sonores et graphiques ; leur fonction nouvelle est de suggérer des images au hasard de la forme des lettres et du son des syllabes. Leur rôle, dans la poésie de l’avenir, est exactement celui des petites bouteilles que le